vendredi 11 juillet 2008

Tribulations d'un prunier transgénique français en Roumanie

Article paru dans le magazine Fruits Oubliés n°37 Septembre 2006

Voyage en Roumanie...

Avec le Réseau Semences Paysannes, Sylvie, notre technicienne fétiche, est partie avec d'autres représentants français, en délégation en Roumanie, pour un échange entre paysans d'ici et de là-bas...


Depuis une cinquantaine d’années, l’industrialisation de l’agriculture et la mondialisation des échanges entraînent de profonds bouleversements dans l’organisation du monde rural. Le paysan devient exploitant agricole. La sélection des variétés s’effectue pour obtenir de "hauts rendements" (avec engrais, pesticides et forte irrigation) et pour s’adapter aux industriels et à la transformation. Correspondant à l’image du progrès et de la croissance, la culture des OGM s’est généralisée. Elle est aujourd’hui remise en question pour ses effets néfastes : diminution du nombre de paysans, disparité entre les régions, appauvrissement de la biodiversité des espèces cultivées, pollution … et bien d’autres encore que nous ne tarderons pas à découvrir (effets sur la santé, évolution des organismes modifiés …). Le monde rural qui représente encore 60 % de la population mondiale, commence à se structurer pour une autre organisation de la société et vise à maintenir un peuplement dans l’espace rural tout en le préservant des dégradations écologiques. Les échanges entre régions, pays, hommes et femmes, permettent de créer des connexions, des liens et renforcent les solidarités entre les peuples. Les alliances sont donc cruciales

La Roumanie a programmé son entrée dans l’Union Européenne en 2007. Pourtant, lors du Forum social Européen de novembre 2003 à Paris, les membres de la Fédération Nationale pour l’Agriculture Ecologique (FNAE) de Roumanie ont révélé une situation grave et incontrôlée de dissémination des cultures génétiquement modifiées, révélant une stratégie de contamination de l’UE via les pays de l’Est (Roumanie et Hongrie particulièrement). A l’exemple du Brésil, contaminé par son voisin argentin, la législation européenne, placée devant le fait accompli, devra se résoudre à légiférer en faveur des OGM. La Roumanie, qui se trouvait jusqu’alors à l’écart, entre de plain-pied dans les débats sur les OGM.

Le projet "Semences de connaissance"
Les premiers constats effectués sur place ont incité à une mobilisation générale et urgente. Aussi, pour répondre à l’appel à la solidarité lancé par la FNAE, le Réseau Semences Paysannes et la Confédération Paysanne ont demandé à BEDE de les appuyer pour réaliser un programme d’échanges multiples et réciproques entre les organisations paysannes des deux pays. Les organisations paysannes françaises bénéficient d’une certaine expérience : elles sont organisées, structurées et fonctionnent en réseaux. Ainsi le projet "Semences de connaissance" s’est construit en France. Il s’inscrit dans une démarche collective plus importante appelée "Europe Solidaire". Il associe les structures qui désirent s’engager dans une action cohérente pour :
- les enjeux sur les risques OGM,
- la protection des variétés locales,
- l’établissement de solidarités paysannes, syndicales et citoyennes.
Une première phase s’est déroulée en Roumanie du 20 au 29 juin 2005 et a permis à 10 paysans français de rencontrer la communauté rurale roumaine. Son principal objectif était d’établir des contacts directs avec les paysans roumains, évaluer leurs besoins et les stratégies à mettre en place pour organiser et développer des réseaux autour des différents acteurs. Une délégation française a été organisée. Elle se constituait de membres de BEDE (dont Bob Brac de la Perrière généticien ; Nordine Boulahouat, agronome ; Anne Berson et Stéphane Marrou), de paysans (dont Claude Giraud, responsable de la commission internationale à la Confédération Paysanne, Jean-François Berthellot et Nicolas Supiot paysans-meuniers-boulangers) et de représentants de structures diverses (Phillipe Catinaud de BiauGerme, Sylvie Dupar pour Fruits Oubliés et Patrice Gaudi d’Agro-Bio-Périgord sélection de semences maïs bio).

L’agriculture roumaine
Les rencontres se sont faites dans une des régions les plus traditionnelles d’Europe : la province des Maramures, dans les Carpates, au nord de la Roumanie. Nous avons visité divers systèmes d’exploitation agricole familiale et de semi-subsistance de polyculture-élevage où les productions sont essentiellement destinées à l’autoconsommation. Les roumains sont quasiment autonomes au niveau de l’alimentation (de la famille comme des animaux), des semences, des vêtements, du bois de chauffage …
La traction animale est très largement utilisée et les paysans effectuent des rotations et pratiquent l’association de plantes. Pourtant, ce type de production pratiqué par les anciens, est menacé de disparaître avec leur entrée dans l’UE. La paysannerie roumaine représente 4,3 millions de petits agriculteurs qui se retrouvent dans une situation dramatique : ils n’ont aucune chance de faire face à la concurrence européenne. Ils ne rempliront jamais les conditions de qualité demandées par les normes communautaires. De nombreuses variétés hybrides ont déjà été introduites, notamment en plaine, mais elles sont généralement destinées à l’alimentation animale. En Transylvanie, les variétés locales étant les mieux adaptées à la montagne, les hybrides sont rarement cultivés et la biodiversité y est encore bien présente. Pour faire connaître le travail de nos associations françaises, pour informer et partager des expériences sur les thèmes de la PAC, de la biodiversité cultivée et des OGM, nous avons participé à divers forums, dont deux au sein d’universités agricoles où les techniciens de Monsanto remplacent certains professeurs. Ces premiers débats ont permis d’amorcer des échanges sur les questions ignorées par la grande majorité et il n’a pas été rare de voir les opinions évoluer et les certitudes remises en cause. Il s’agissait de leur faire comprendre que leur "retard" en matière de développement était devenu une "avance" considérable en matière de protection de la biodiversité et de maintien d’une agriculture paysanne, durable et en respect avec l’environnement.

Des pruniers OGM venus de France
Lors des rencontres, nous avons été informés que depuis le printemps 1996, une centaine de pruniers modifiés génétiquement par le laboratoire de l’INRA de Bordeaux pour résister au virus de la Sharka, sont dispersés dans un verger des Carpates de la station expérimentale de Bistrita en Transylvanie. La Roumanie est au coeur de l’aire d’origine de notre Prunus domestica, qui s’étend de la Georgie à la Hongrie. Berceau des échanges génétiques entre diverses populations de Prunus, elle est un réservoir de ressources génétiques des variétés de pruniers : la législation internationale impose de le protéger. Dans ce pays, troisième producteur mondial, les pruniers occupent une place culturelle importante à travers la production de "Palinka", eau de vie de prune placée au centre des relations sociales.

Une zone tampon théorique, composée de pommiers, devait présenter une assurance contre la dissémination par le pollen mais n’a pas été observée par les membres d’inf’OMG (Roumanie). La seule différence effective est un T peint à la peinture blanche sur les troncs des pruniers transgéniques. Les stations expérimentales roumaines, très affaiblies financièrement depuis la chute de Ciusescu, consacrent seulement 20 % de leur surface à la recherche, et 80 % à la production de semences et de produits destinés à la vente. Elles sont donc très exposées aux pressions des financeurs des programmes de recherche. C’est ainsi que ce projet de recherche scientifique consacré à la modification des pruniers a été conduit en Roumanie en l’absence d’autorisation formelle. Soutenu financièrement par l’UE, dans le cadre de projet de recherche européen, cet essai ne ressemble pas à ceux conduits en Europe : le pays concerné n’est pas membre de l’UE, sa législation n’est pas encore conforme à la législation européenne. Ce programme a démarré par l’isolation d’un gène viral de la Sharka et son expression transgénique dans un plant de tabac. Ensuite, le gène exprimant la protéine concernée a été inséré dans les pruniers par le biais de bactéries. Après 3 années d’exposition en serre, un clone C-5 a été isolé comme résistant au virus. Après les phases confinées en laboratoire, les recherches ont été transposées en pleins champs en Pologne, Roumanie et Espagne, où le virus est répandu. Hormis quelques vergers de pruniers industriels sévèrement touchés par la Sharka, la région de Transylvanie offre une diversité de systèmes agraires paysans et de jardins familiaux qui intègrent des variétés locales issues de noyaux. Ces variétés présentent un bon niveau de tolérance à la maladie. Les espèces sauvages apparentées qui bordent les champs peuvent aussi être des porteurs sains. De plus, un an avant l’implantation de l’expérimentation les chercheurs de l’INRA avaient identifié des risques pour la production de variétés GM résistantes au virus, en particulier l’irréversibilité du processus, la dangerosité accrue pour les plantes pérennes qui peuvent prendre un caractère nouveau par la génération d’interactions nouvelles. Depuis 1999, les risques sont bien identifiés, et notamment les possibilités d’apparition (puis de dissémination) de virus nouveaux, aux propriétés différentes de celles des virus parentaux (virus recombinant) provoquant des viroses aggravées. Alors qu’il existe déjà des variétés de pruniers résistantes à la Sharka, sélectionnées de manière conventionnelle, l’efficacité et la rentabilité de la technique de transgénèse utilisée restent à démontrer. De plus, quelle sera l’évolution de la transgénèse avec le temps ? Les essais en champs de Bistrita sont orientés sur l’efficacité de la technique sur la population virale. Les risques de contamination de l’Environnement et la protection de la santé humaine, ont été négligés. Aucune étude sur la toxicité et l’allergénicité des fruits, pourtant prévue au début, n’a été conduite alors qu’ils sont vendus sans aucune distinction sur les marchés locaux. Les fruits du premier clone sont de qualité médiocre : la pulpe ne se détache pas du noyau. A Bistrita, les chercheurs ont immédiatement réalisé des croisements avec les variétés locales. La destruction de la source de contamination est prévue en juin 2006 sur décision de la station de recherche. Comment la commission européenne a t’elle accepté de financer ce projet sans en vérifier les conditions de déroulement ? La Roumanie, signataire de la Convention sur la Biodiversité, a pour obligation de protéger de toute dégradation, les centres de biodiversité présents sur son territoire. Comment le gouvernement a t’il accepté de risquer de contaminer le centre d’origine du prunier par la conduite de ces essais ? En mars 2006, Bistrita Nasaud, région où est établie la station expérimentale, s’est déclarée « zone sans PGM ». Mais quel est l’état de la dissémination du transgène aux cultures environnantes ?
A la veille de l’adhésion à l’UE, de nombreuses questions restent et resteront sans réponse.
Pour plus d’infos :
www.bede-asso.org
www.infogm.org (dossier n° 73)

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