vendredi 9 juillet 2010

Débat sur la stérilité mâle cytoplasmique et son acceptabilité en agriculture biologique

Par François Delmond (administrateur ITAB), Krotoum Konaté (ITAB)
Source:
Bimestriel des Agricultures Alterrnatives Alter Agri n° 69 Institut Technique de l’Agriculture Biologique Janvier/février 2005


p 18

En juin 2004, les producteurs du GAB 29 interpellaient l’ITAB sur l’existence de variétés de choux fleur d’hiver issues de techniques faisant appel à la Stérilité Mâle Cytoplasmique (CMS) avec la mention “disponibles en bio” sur une base de donnée de semences. Cette méthode de castration génétique irréversible n’est pas considérée par la réglementation comme OGM. Mais de nombreux producteurs biologiques estiment que les variétés hybrides à CMS sans gènes restaurateurs ou faisant appel à la fusion de protoplastes ne sont pas compatibles avec l’éthique de l’agriculture biologique. Afin de prendre une position, l’ITAB a organisé en décembre 2004 un débat sur les CMS lors des journées techniques fruits et légumes. Cet article résume les discussions issues de ce débat.

La Stérilité Mâle Cytolasmique (CMS en anglais) est de plus en plus privilégiée par les semenciers pour la création de variétés hybrides et cela pour des raisons avant tout économiques. Pour débattre de l’acceptabilité en agriculture biologique des variétés hybrides F1 à CMS, il est nécessaire de comprendre ce qui a conduit les sélectionneurs à utiliser cette technique, de savoir dans quels cas et comment ils pratiquent. N’étant pas sélectionneur nous-même, il faudra avoir recours, pour compléter ces informations, à des sélectionneurs compétents pour les espèces concernées. D’autre part, nous ne disposons pas de toutes les données les plus récentes, en particulier celles des sélectionneurs privés.


--------------------------------------------------------------------------------

En rappel Comment produire des hybrides ?

Quelle que soit l’espèce, pour pouvoir produire des semences commerciales de variétés hybrides F1, il faut réunir deux conditions :
avoir une lignée ‘’mâle’’ pollinisatrice (lignée normale : peu importe qu’elle soit aussi femelle, elle sera, la plupart du temps, détruite) et une lignée ‘’femelle’’ sur laquelle les semences commerciales F1 seront récoltées dans le champ du multiplicateur (cette lignée ne doit absolument pas s’autoféconder et doit recevoir tout le pollen de la lignée mâle).
S’assurer du transfert du pollen de la lignée mâle, et de lui seul, vers la lignée femelle. La pollinisation pourra être manuelle dans le cas de plantes autogames comme la tomate ou le poivron. Sinon, elle se fera librement à condition qu’il y ait une bonne concordance de floraison entre les deux lignées, et du vent ou suffisamment d’insectes pollinisateurs intéressés par les deux lignées au moment de la floraison. La réalisation d’hybrides nécessite donc un contrôle de la pollinisation afin d’empêcher la lignée femelle de s’autoféconder. Il existe pour cela plusieurs méthodes, présentées dans le tableau 1.


--------------------------------------------------------------------------------

La stérilité mâle cytoplasmique Chez les plantes bisexuées (monoïques2 ou hermaphrodites), la stérilité mâle est l’incapacité de transmettre l’information génétique par des gamètes mâles. Pour les stérilités mâles cytoplasmiques, trois cas se présentent :
le caractère existe naturellement chez des variétés cultivées ou chez des populations sauvages de l’espèce considérée. La stérilité mâle cytoplasmique peut alors être transférée par croisement naturel à la lignée choisie. C’est le cas de la carotte hybride.
Le caractère n’a pas été trouvé et il faut alors le faire venir d’une autre espèce par des techniques de laboratoire comme la fusion de protoplastes. Les choux fleurs hybrides à CMS de radis sont obtenus par ce procédé. Ils

p 19

contiennent des mitochondries chimériques de radis et de choux. (voir encadre choux p.22).
La CMS vient d’une espèce suffisamment proche pour que le croisement naturel soit possible, même s’il est difficile et rare. Ce cas intermédiaire existe chez le tournesol dont la CMS vient d’un tournesol sauvage, Helianthus petiolaris. La CMS type PET1 du tournesol exploite un autre phénomène qui est l’alloplasmie, qui traduit une situation de conflit entre un génome nucléaire et un génome mitochondrial ou chloroplastique. Avant le croisement interspécifique ou intergénérique, les deux plantes sont fertiles. L’association des deux génomes crée des anomalies de fonctionnement du génome de la mitochondrie… Selon la lignée mâle utilisée, à nouveau deux cas se présentent : L’hybride restauré ou fertile Il s’agit d’une espèce cultivée pour son fruit ou sa graine, et il faut alors lever cette stérilité, sinon le paysan ne récoltera rien. Pour cela, la lignée mâle a été sélectionnée pour apporter avec son pollen un gène restaurateur de fertilité. C’est le cas du tournesol hybride. La descendance de cet hybride sera constituée de 50% de plantes stériles et de 50% de plantes fertiles.

L’hybride stérile

Il s’agit d’une espèce cultivée pour sa racine ou pour sa feuille. Dans ce cas, le sélectionneur ‘’ne se sent pas obligé’’ de restaurer la fertilité, d’autant plus que c’est bien plus simple et plus économique pour lui. La descendance est bel et bien stérile si elle est cultivée seule, car elle ne peut être fécondée que par du pollen d’une autre variété. L’obtenteur s’assure ainsi d’une protection totale de sa variété : l’agriculteur sera obligé de racheter de la semence chaque année. C’est ce qu’on appelle les variétés hybrides à CMS sans gène restaurateur de fertilité. Exemple : carotte hybride à CMS (mais attention : tous les hybrides de carotte ne sont pas à CMS). NB : pour simplifier, nous n’avons pas abordé le cas des hybrides de plantes dioïques3 comme l’asperge et l’épinard, ou monoïques comme les cucurbitacées, dont les méthodes d’hybridations sont particulières. Chez certaines espèces, il existe d’ailleurs un autre système pour ‘’verrouiller’’ la variété, il consiste à mettre au point des variétés qui produisent des fruits parthénocarpiques, c’està- dire des fruits qui ne contiennent pas de graines (aubergine, concombre, cornichon). Le paysan ne peut bien évidemment rien ressemer !

Les techniques utilisées pour transférer la CMS dans une lignée

Les techniques utilisées dépendent de l’espèce. Si la CMS existe naturellement dans cette espèce, le transfert de la CMS à une lignée particulière peut se faire par croisement naturel. Il en est de même si le croisement est possible entre la lignée et une espèce sauvage apparentée comme c’est le cas pour le tournesol dont la CMS vient, on l’a vu, d’un tournesol sauvage. Pour les espèces p20 comme le chou et le colza d’une part, la chicorée d’autre part, seules les biotechnologies permettent le transfert de la CMS en provenance respectivement du radis et du tournesol. Sans rentrer dans les détails, citons :
la fécondation manuelle suivie de “sauvetage d’embryon immature”, sinon l’ovule fécondé par le pollen de l’autre espèce meurt au bout de quelques jours.
La culture in vitro (en éprouvette) de cet embryon avec adjonction de solution NPK et l’hormone d’hormone de synthèse pour obtenir une plante entière (A).
La fusion de protoplastes4 c’est-àdire de cellules débarrassées de leurs parois grâce à l’action d’enzymes (Cf schéma 1). Dans le cas du chou, cette technique a pour but de remplacer les chloroplastes (où se fait la photosynthèse) déficients de la plante A par ceux d’un chou normal.


--------------------------------------------------------------------------------

Tableau 1 – Les principales méthodes d’hybridation

Nom Description Exemple Castration manuelle ou mécanique Retrait des fleurs mâles avant qu’elles ne pollinisent les fleurs femelles Maïs hybride, tomate, piment Castration chimique Pulvérisation d’une substance gamétocide (l’Agent Chimique d’Hybridation : AGH, probablement une hormone) sur la lignée femelle seulement Blé hybride Auto-incompatibilité C’est le seul cas où la lignée femelle n’est pas rendue mâle stérile. On utilise Choux, endive, colza Ou compétition pollinique une caractéristique présente dans l’espèce, ou dans certaines populations de l’espèce, qui oblige la plante à être allogame (fécondation croisée), car dans ce cas, les grains de pollen ne germent pas sur les fleurs de la même plante. L’inconvénient, c’est que ce système n’est pas fiable à 100% ; il y a souvent quelques pour cent d’autofécondation qui se traduisent, à la génération suivante, dans le champ du paysan, par la présence de plantes hors type peu productives ou difformes. D’où le recours à la CMS, quand c’est possible car elle est généralement plus fiable.


--------------------------------------------------------------------------------

La stérilité mâle génique

Le caractère mâle stérile est apporté à la lignée femelle par un gène Poireau La stérilité mâle cytoplasmique Le caractère mâle stérile est porté par l’ADN des mitochondries (organites de Le tournesol hybride est la première (CMS : Cytoplasmic Male Sterility) la cellule qui règlent, entre autres, ses fonctions énergétiques), ADN dont les plante chez laquelle les sélectionfonctions dans la vie cellulaire et les interactions avec l’ADN du noyau de la neurs ont réussi à mettre en place cellule sont encore mal connues. une CMS vers 1968-70. Ce travail a d’ailleurs été réalisé par l’INRA sur fond public et le résultat a été offert aux sélectionneurs privés du monde entier : on se souvient que ce cadeau a surtout profité à une entreprise des Etats Unis - Cargill.

4 Les protoplastes sont des cellules sans paroi cellulaire

Schéma 1 - Processus de fusion des protoplastes ou des cytoplastes. Source dossier FiBL "Techniques de sélection végétale" en vente à l’ITAB.


--------------------------------------------------------------------------------

VOIR SUITE DE L’ARTICLE sur le site de l’ITAB

Les espèces concernées par la CMS En préalable à une prise de position par rapport à l’usage en agriculture biologique d’hybrides à CMS pour lesquels

Espèces avec une CMS naturelle

La stérilité mâle cytoplasmique existe naturellement chez plus de 150 espèces (INRA - 1988) : chez certaines espèces cultivées (artichaut, carotte, betterave, maïs, oignon, piment, dactyle, féverole, luzerne, trèfle, mil) ou chez des espèces sauvages apparentées à des espèces cultivées (coton, riz, tournesol). Elle existe aussi chez le pétunia, l’origan, le thym. Elle est apparue à la suite de croisements au sein de l’espèce ou entre espèces proches, chez le sorgho, le blé, l’orge, le riz, le tabac. Espèces avec une CMS non naturelle La CMS peut aussi apparaître à la suite de traitements chimiques ou physiques (rayons X) effectués en vue d’obtenir des mutations : betterave, sorgho, féverole, etc.

Espèces avec une CMS à fusion de protoplastes

A l’heure actuelle, trois espèces sont concernées : la chicorée sauvage (Cicorium intybus) à ne pas confondre avec les chicorées scaroles et frisées (Cicorium endivia), le chou et le colza.

La chicorée industrielle : chicorée à café ou chicorée cultivée pour la production d’inuline. Desprez et l’Université de Lille travaillent à la mise au point de variétés à CMS de tournesol et sans gène restaurateur de fertilité. Le chou fleur : la CMS de certaines variétés, en général les plus récentes, vient du radis (voir la liste établie par APFLBB en 2004 – www.biobreizh.org). Les autres variétés hybrides, généralement plus anciennes, sont basées sur l’auto-incompatibilité. Il n’y a en outre pas de gène restaurateur de fertilité. Les autres choux (Cabus blancs ou rouges, brocolis, choux de Bruxelles, chou-rave) : la situation est à peu près identique à celle du chou fleur.

La chicorée endive : presque toutes les variétés hybrides actuelles sont basées sur l’auto-incompatibilité, mais des recherches sont menées activement pour utiliser la CMS du tournesol.

Quelques variétés à CMS de tournesol sont déjà inscrites ou en cours d’inscription. Elles n’ont pas de gène restaurateur de fertilité. Vilmorin a inscrit récemment une variété mais la production de racines n’est autorisée qu’en France, et pas en Belgique, ni aux Pays-Bas.

Dans un prochain numéro d’Alter Agri, nous publierons la liste des espèces cultivées chez lesquelles existent des variétés hybrides. Pour chacune d’elles, nous indiquerons le ou les modes d’obtentions ainsi que leur importance par rapport aux autres variétés. Le colza : la CMS de certaines variétés vient du radis via le chou (rétrocroisements de colza par des variétés de chou à CMS de radis). Cf encadré colza.


--------------------------------------------------------------------------------

Le Colza

Chez le colza, il existe divers systèmes d’hybridation qui ont été développés avec plus ou moins de succès. L’auto-incompatibilité : certains sélectionneurs ont tenté de mettre au point des hybrides à partir de l’auto-incompatibilité mais n’ont pas vraiment abouti commercialement. Cette technique est difficile à mettre en oeuvre et est coûteuse pour le sélectionneur. La stérilité mâle génique : deux systèmes existent à ce jour, celui d’Agrevo et celui de NPZ. Le système Agrevo (Bayer) : est un système de stérilité mâle génique OGM, le caractère de stérilité est associé à la résistance à un herbicide (glufosinate) pour sélectionner les plantes stériles dans les parcelles de production. Le système de la société NPZ (sélectionneur allemand) baptisé système MSL (Male Sterile Lembke) : l’information reste assez confidentiellle. Il s’agirait d’une stérilité mâle génique, mais le sélectionneur dispose de très peu de lignées femelles, car difficile à maîtriser. Il existe des hybrides commerciaux, notamment chez Banjo en France. En Allemagne, ces hybrides atteignent plus de 50 % du marché ! La stérilité mâle cytoplasmique : c’est un système développé par L’INRA baptisé OGU-INRA. L’INRA a déposé des brevets sur ce système, obligeant les sélectionneurs utilisant cette stérilité à lui verser des royalties. Dans cette catégorie, on distingue des hybrides stériles et des hybrides fertiles. Les premières variétés commercialisées utilisant la CMS OGU-INRA ont été des variétés composites hybrides-lignées (CHL). Les CHL sont des mélanges d’hybrides stériles et de variétés pollinisatrices dans des proportions généralement respectives de 80 % et 20 %. La ou les variétés pollinisatrices présentes dans le mélange assurent l’apport de pollen lors de la floraison. Encore faut-il qu’il y ait des insectes pour effectuer la fécondation. Certains se souviennent peut-être encore dans l’Est de la France en 1995 des taux de nouaison catastrophiques avec la première CHL "Synergy". Les plantes hybrides stériles se comportent comme des plantes à floraison indéterminée tant qu’il n’y a pas de fécondation. Certains colzas étaient encore en fleurs début juillet ! Il s’en est suivi des recommandations pour cultiver ce type de variétés dans le Sud et l’Ouest ! Ce type de variété avait été développé, car la mise au point des lignées restauratrices n’était pas encore effectuée et l’appât du gain étant trop fort ! La création de lignées restauratrices est aujourd’hui toujours assez difficile, notamment en raison d’une forte liaison entre le caractère restaurateur de fertilité et la forte teneur en glucosinolates. Selon le paradigme dominant la génétique, un gène correspondant à une fonction, on devrait casser ce lien en appliquant les lois de Mendel. Or, cela ne marche pas vraiment. On peut en déduire que les deux caractères sont probablement dépendant de l’un ou de l’autre pour leur expression. Ce petit tracas pour les semenciers nous laisse un peu de temps avant le déferlement des hybrides restaurés sur le marché français. Toutefois, quelques hybrides restaurés sont apparus sur le marché “Extra” et “Explus” notamment de Dekalb (Monsanto). Pour l’ensemble de ces hybrides, il est important de noter que leurs performances ne sont pas vraiment meilleures que celles des variétés lignées. La gamme variétale en lignée existe même si elle ne correspond pas réellement aux besoins des bio. On peut déplorer toutefois qu’il n’existe qu’une seule variété en bio à ce jour (Pollen). Il est donc important pour les bio de conserver les variétés lignées adaptées à leurs conditions, car demain, les semenciers ne proposeront probablement plus que des hybrides. Daniel Evain


--------------------------------------------------------------------------------

22 Alter Agri • janvier/février 2005 • n° 69

Avant de prendre une position sur la CMS à fusion de protoplastes

On peut légitimement se demander si ces techniques non conformes aux principes fondamentaux de l’agriculture biologique tels que définis par I.F.O.A.M., qui brutalisent et fragilisent les plantes, et créent des situations génétiques chimériques nouvelles au niveau des mitochondries, sont acceptables par la réglementation agriculture biologique. On peut aussi se demander quelles sont les conséquences de leur dispersion dans l’environnement. Justement, les choux, colza et chicorées sont des plantes très allogames5. En outre, on connaît mal le rôle des mitochondries, et donc les conséquences de mitochondries génétiquement modifiées sur l’environnement. Quant à leur influence sur la valeur alimentaire des variétés ainsi obtenues, elle n’a jamais été évaluée et cela n’étonnera probablement personne ! Faille réglementaire sur les OGM La fusion cellulaire est considérée par IFOAM international comme une technique de manipulation génétique, et les variétés obtenues sont donc considérées comme des OGM ; OGM dans un sens moins restrictif que celui retenu actuellement par les directives européennes, et donc par les lois françaises. En effet, il faut bien distinguer :
les OGM ‘’classiques’’ résistant à un herbicide ou sécrétant un insecticide (Bt), chez lesquels le sélectionneur a inséré une structure génétique artificielle, fabriquée en laboratoire de biotechnologie. Ces OGM ne sont que la partie médiatiquement visible d’un iceberg.
Les OGM qui nous intéressent ici, obtenus par fusion de protoplastes, et chez lesquelles il y a ‘’simplement’’ fusion de structures génétiques naturelles par des moyens brutaux et aléatoires : en général, le technicien obtient la fusion par choc électrique sur les cellules mises à nu, ou alors en les plongeant dans de l’antigel. La réglementation européenne considère la fusion cellulaire comme technique OGM (directive UE2001/18), elle laisse cependant place à une formulation dérogatoire permettant d’interpréter la fusion de protoplastes comme n’étant pas une technique OGM. Cette technique n’est pas pour autant compatible avec l’agriculture biologique.

La position Organic X seeds

La base de données Organic X seeds du FIBL en Suisse (www.organicxseeds. com) considère que la fusion de protoplastes (qui permet le transfert de la CMS entre certaines plantes) est une forme de manipulation génétique et que les plantes qui portent ce caractère sont assimilables à des OGM. Cette base n’autorise pas les semenciers à y faire figurer les variétés hybrides à CMS obtenues par fusion de protoplastes. De plus Organic X seeds impose aux semenciers d’indiquer si leurs variétés sont hybrides ou non. Globalement, il est difficile d’obtenir des semenciers des informations sur les méthodes de sélection utilisées, car ils n’ont pas, pour le moment, l’obligation réglementaire de les indiquer. Il faut savoir qu’il n’y a pas de contrôle sur le caractère hybride d’une variété ; ainsi, un semencier peut sans problème vendre comme hybride une variété qui ne l’est pas et vice versa.


--------------------------------------------------------------------------------

Les variétés de choux issues de CMS et fusion de protoplastes

Les variétés de choux porteurs aujourd’hui d’une CMS, sont issues de fusion de protoplastes (ou fusion cellulaire), technique avec laquelle on obtient des “cybrides”, ou hybrides cytoplasmiques : le génome cytoplasmique obtenu est impossible à obtenir naturellement. En effet, lors d’une fusion cellulaire, les chloroplastes de chaque espèce restent intacts et sont répartis aléatoirement dans les résultats de fusion, mais les mitochondries des deux espèces se recombinent et créent donc des organites nouvelles. Ce phénomène ne peut jamais se produire naturellement puisque, dans une fécondation normale, seuls les organites (chloroplastes et mitochondries) de la plante femelle sont transmises à la descendance, jamais celles du grain de pollen. C’est ce qui explique que la descendance de ces plantes hybrides CMS, reste 100% mâle stérile, le pollen de plantes normales ne pouvant pas corriger le défaut du cytoplasme femelle. C’est aussi ce qui fait l’intérêt de cette technique pour le sélectionneur. 5 Allogamie : système de reproduction par fécondation croisée. Le pollen fécondant provient d’une autre plante.


--------------------------------------------------------------------------------

L’auto-incompatibilité : une alternative à la CMS

Il est possible de produire des hybrides sans CMS (y compris pour les choux) en ayant recours à l’auto-incompatibilité.

Mais pour obtenir le moins possible d’autofécondation chez les variétés hybrides produites par cette technique, il faut cultiver un plus grand nombre de rangs mâles (improductifs) que chez les variétés à CMS, ce qui rend la semence obtenue plus chère à produire. Par contre, les variétés seront moins chères à sélectionner et les lignées moins chères à maintenir : cela devrait se retrouver dans le prix de la semence. Ainsi, Laurent Madiot, de l’établissement Béjo (semencier hollandais engagé dans la sélection et la production de semences potagères biologiques), a certifié au colloque des journées techniques que les semences potagères biologiques proposées dans le catalogue sont toutes des hybrides auto-incompatibles. Mais il faut savoir aussi que Béjo a demandé, et obtenu, il y a quelques années, une autorisation de mise en marché d’une variété de chicorée endive OGM à stérilité mâle et résistante à un herbicide total de Bayer. Actuellement, en France, deux variétés hybrides de chicorée OGM de Béjo sont autorisées pour la culture et la commercialisation de semences. Par contre, pour le moment, le légume issu de ces variétés n’est pas autorisé pour l’alimentation ; les variétés ne sont donc pas cultivées. Par ailleurs, l’entreprise Vitalis, aux Pays-Bas (sélection et production de semences potagères 100% biologiques), a décidé de ne recourir à aucune CMS pour la sélection de variétés de sa gamme biologique. Pour les espèces comme la carotte, le chou et l’oignon, ces hybrides sont basés sur l’autoincompatibilité et présentent cependant une très bonne homogénéité. Quand aux sélectionneurs biodynamiques de variétés potagères d’Allemagne, de Suisse et d’Autriche, ils considèrent qu’on peut se passer des variétés hybrides et qu’on peut sélectionner des variétés population tout aussi homogènes que celles-ci. Cependant ce type de sélection demande nettement plus de temps. Pour le moment, il n’y a que quelques variétés de ce type inscrites au catalogue officiel. Ces variétés ne reviennent pas nécessairement plus cher que les hybrides car elles font appel à des techniques peu coûteuses, l’essentiel du coût consiste en temps de travail et en frais d’inscription. En 2004, Demeter International, association qui gère la marque des produits issus de l’agriculture biodynamique, a décidé d’interdire dans son cahier des charges les variétés hybrides obtenues grâce à la fusion de protoplastes. Il est à espérer que le règlement européen de la bio fasse de même sous peu. Avenir de la technique CMS Comme on vient de le voir, la CMS n’est pas seulement une technique efficace pour produire des variétés hybrides chez les espèces où d’autres méthodes ne sont pas possibles ou sont moins fiables. Elle est aussi - et peutêtre surtout - une des techniques qui permet le mieux de ‘’verrouiller’’ des variétés en rendant leur descendance, partiellement ou totalement stérile pour dissuader le paysan de les ressemer. Du point de vue des sélectionneurs et des semenciers, c’est donc une technique vouée à un grand avenir ! Le développement des biotechnologies rend déjà possible le transfert de CMS d’une espèce à une autre espèce de la même famille, mais rendra sans doute aussi possible prochainement ce transfert à une espèce d’une autre famille. Il faut donc s’attendre à un grand développement des variétés hybrides à CMS chaque fois qu’il n’y a pas d’autre méthode plus simple ou plus fiable et tout particulièrement dans le cas des plantes où il n’est pas indispensable d’utiliser un gène restaurateur de

p 24 fertilité (verrouillage complet de la variété), c’est-à-dire toutes les plantes qui ne sont pas cultivées pour leurs graines, c’est le cas des potagères et des fourragères.

Un début dans la réflexion

Concernant les variétés hybrides à CMS, les agriculteurs biologiques peuvent décider d’y renoncer. On distingue plusieurs cas, du plus incompatible avec la bio, au moins incompatible :

1.D’abord, les variétés dont la stérilité a été transférée à partir d’une autre espèce par des méthodes biotechnologiques brutales. Ce sont des variétés génétiquement manipulées assimilables aux OGM (le fait que l’ADN étranger soit dans les mitochondries plutôt que dans le noyau ne change pas fondamentalement la situation de ces variétés).

2. Ensuite les variétés ne possédant pas de gène restaurateur de fertilité. C’est contraire à l’esprit de la bio d’avoir recours à des plantes amputées de leur capacité naturelle de reproduction. C’est aussi accepter une dépendance inacceptable.

3.Enfin, plus tard, aux autres variétés hybrides à CMS, essentiellement des espèces cultivées pour leur fruit ou leur graine. Aujourd’hui, cela signifierait renoncer, par exemple, à toutes les variétés hybrides de tournesol qui, pour le moment, sont les seules variétés disponibles, que ce soit en agriculture biologique ou en conventionnel. Cela conduirait à abandonner presque toute culture biologique de tournesol. Pour cette troisième phase, Il serait donc raisonnable de commencer par sélectionner, pour les espèces concernées, d’autres types variétaux (populations…).

François Le Lagadec (membre du conseil d’administration de l’AsAFI : Association des Adhérents Français d’IFOAM France) a présenté la liste provisoire d’IFOAM des méthodes et du matériel convenables et autorisés pour la création variétale en agriculture biologique (tableau 2). Cette liste est stable depuis 2002, et ne sera rendue définitive qu’en 2008. Les membres hollandais d’IFOAM ont soulevé un certain nombre de questions sur la CMS à fusion de protoplastes que partage présentées par l’AsAFI à savoir :

1) Voulons-nous (tous) bannir la fusion de protoplastes de l’agriculture biologique ?

2) A quel niveau de quantité est-elle utilisée en agriculture biologique (par les sélectionneurs, les multiplicateurs et les agriculteurs) ? Quelle est la situation dans d’autres pays membres de la communauté européenne ? Quelle est la situation hors Europe ?

3) Est-ce que l’interprétation actuelle CEE de la Directive UE 2001/18 sur les techniques OGM de sélection, s’applique à la législation sur l’agriculture biologique ?

4) Jusqu’où souhaitons nous porter notre interdiction ? Comment revenir dans les processus de sélection pour vérifier si la fusion de protoplastes est ou a été utilisée ? Nous pourrions mettre en oeuvre une interdiction d’utiliser la fusion de protoplastes : pour les sélectionneurs bios ; pour les multiplicateurs de semences biologiques (producteurs de semences) ; pour les agrobiologiques qui utilisent des semences conventionnelles.

5) Comment peut-on aboutir à cette interdiction ?
Par la voie réglementaire.
En informant les agriculteurs.
En faisant une liste (rouge) de variétés créées par la fusion de protoplastes. Concernant l’ITAB Afin de se positionner sur les CMS, l’ITAB prendra les mesures suivantes :
mettre prochainement en place un groupe de travail pour étudier au cas par cas le retrait ou non des autres types de CMS.
Obtenir une meilleure information et identification des espèces et variétés concernées.
Répondre aux questions restées sans réponses aux journées techniques comme le niveau de fertilité attendu des hybrides, 100%, 50% ou 25% ? Et à celles de l’AsAFI.
Arrêter une position technique validée par l’ensemble des acteurs de l’agriculture biologique française et la porter au niveau européen pour une inscription au cahier des charges. Toutefois, en tant que membre IFOAM soutenant la liste des méthodes et du matériel pour la création variétale, l’ITAB déconseille l’utilisation de la CMS à fusion de protoplastes pour la création variétale en agriculture biologique.

Remerciements

Véronique Chable pour les documents transmis

Bibliographie

Yves DEMARLY. Génétique et Amélioration des Plantes. Masson. 1977. 287 p. Epuisé. Un peu ancien mais intéressant. Voir CMS p 110 à 120.
Julien DEMOL & Co. Amélioration des Plantes (application aux principales espèces cultivées en régions tropicales. Les Presses Agronomiques de Gembloux. Belgique. 2002. 580 p. Br. Certains chapitres (maïs) sont sur le site www.genagro.org.
André GALLAIS, Hubert BANNEROT et autres. Amélioration des Espèces végétales cultivées. Objectifs et critères de sélection. Ed° INRA. P. 1992. Relié. 768 p.
I.N.R.A. Les Biotechnologies au Service de la Production végétale. INRA. 1988. 74 p. Dossier de 10 fascicules présentant les principales méthodes biotechnologiques : multiplication in vitro, stérilité mâle, fusion de protoplasme, etc… Un peu ancien, mais toujours valable, et très abordable.
I.N.R.A. Les Chercheurs et l’Innovation. INRA. 1998. 430 p. Voir le chapitre sur la création d’hybrides de colza p 312 – 324. Disponible en ligne : www-cgs.ensmp.fr/cahiers/cahier15inra/ cah15.pdf. p 37 à 46.
IRAB/FIBL. Techniques de sélection végétale - Evaluation pour l’Agriculture biologique. FIBL. 2001. 24 p. Une bonne synthèse.
J. François Lizot & co. La Production et la Sélection de Semences biologiques. Alter Agri n° 52, mars 2002. p 19-21.
M.C.B.D. Quelle Ethique pour la Sélection des Plantes cultivées ? Mouvement de Culture Bio- Dynamique. Colmar. 2002. Br. 70p. (8 e). Recueil d’articles de sélectionneurs allemands.
Gilbert ROCHARD. Etude de l’Application de la Réglementation sur l’Utilisation des Semences potagères biologiques : le cas du chou-fleur en Bretagne. IBB. 2001. 23 p.
IFOAM. Normes - Règles de base pour la production et la préparation en agriculture biologique – IFOAM 2002. www.ifoam.org
CEE. Directive UE-2001/18 sur les techniques OGM de sélection. Dans le prochain numéro d’Alter agri mars/avril 2005 paraîtra une nouvelle rubrique “La technique en débat” où les lecteurs sont invités à réagir sur “l’article débat sur la CMS”.

Vous souhaitez intervenir sur cet article, écrivez-nous dès à présent à : L’ITAB - Alter Agri 149, rue de Bercy 75595 Paris Cedex 12 Mail : itab@itab.asso.fr

consultable en ligne sur le site de l’ITAB

Aucun commentaire: