Peut-on trouver meilleur cobaye que soi-même? Pour les fins de son dernier documentaire, Homo toxicus, la cinéaste Carole Poliquin (Turbulences, Le Bien commun) a voulu se livrer à un jeu à la fois simple et angoissant: l'analyse détaillée de son propre sang. Tout ce qu'elle a découvert pourrait foudroyer le moins paranoïaque des hypocondriaques: du mercure, des dioxines, des pesticides, du plomb, bref, plus de 100 substances chimiques qui, même en quantités infimes, suscitent des craintes légitimes.Liste (impressionnante) sous le bras, Carole Poliquin a interrogé de nombreux scientifiques qui, comme elle, s'inquiètent de la présence grandissante de tous ces produits -- même ceux bannis depuis plus de 30 ans, comme le DDT... -- et, surtout, de leurs effets pernicieux sur le développement humain. Elle n'a d'ailleurs pas besoin de se rendre à Bhopal, en Inde, ou aux abords de Tchernobyl, en Ukraine, pour constater les effets de toutes ces substance répandues dans l'air, vidées dans les rivières ou atterrissant dans notre assiette.Car, voyez-vous, l'ennemi est partout et ses conquêtes sont de plus en plus visibles. Il suffit de voir la montée en flèche des cancers, des allergies, des troubles de concentration chez les enfants et des difficultés de fertilité chez les hommes pour comprendre que l'heure est grave même si tous n'ont pas ajusté leur montre. En effet, Carole Poliquin tire la sonnette d'alarme sur un phénomène préoccupant mais pointe aussi la négligence de nos gouvernements, plus ou moins soumis aux diktats des grandes compagnies, jouant trop souvent les apprentis sorciers avec des produits dont on ignore le potentiel destructeur. Car celui-ci peut éclater dans deux ou trois générations... À ce chapitre, le Nunavik et Sarnia, en Ontario, semblent présenter de troublants microcosmes sur ce qui attend les sociétés occidentales si la valse des molécules chimiques se poursuit au même rythme endiablé. Affligés de problèmes graves de surdité, plusieurs jeunes Inuits ne comprennent leur enseignante que si celle-ci parle à travers un micro dans leur petite classe... Et dans une communauté autochtone à l'ombre des usines de la vallée chimique ontarienne, des femmes ont dressé la carte des maladies qui affligent leurs concitoyens, un portrait qui pourrait bien devenir un dangereux cliché... La situation est grave, mais le ton de Carole Poliquin n'est pas désespéré. À l'aide de diverses techniques d'animation, elle décortique avec humour certains mécanismes physiologiques permettant de mieux saisir la nature et l'ampleur du problème. Évidemment, soucieuse, comme dans ses films précédents, de susciter une mobilisation citoyenne, elle ne cherche pas à réconforter le spectateur à tout prix: statistiques désolantes, témoignages troublants, photographies éloquentes (dont certaines de malformations génitales à la naissance), rien pour rassurer le bon peuple. Il ne semble y avoir que le porte-parole de l'Association des fabricants de produits chimiques et ceux de... Santé Canada pour verser dans le jovialisme. C'est sans aucun doute ce qui est le plus inquiétant dans Homo toxicus.
Toxique affaire, André Lavoie, Le Devoir, édition du 17-18 mai 2008
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